Cette interview d'Eric Besson est parue dans Le Point © et les propos recueillis par Christophe Deloire
Ce fut une question de Ségolène Royal. Spontanée et assassine : « Qui connaît Eric Besson ? » L’ancien secrétaire national à l’économie du PS venait de rejeter sa candidate et son programme. Peu après, il annonçait devant la presse son intention de voter pour Nicolas Sarkozy. Mieux, de faire campagne pour lui avec dans sa besace un brûlot anti-Ségolène intitulé - juste retour à l’envoyeur... - « Qui connaît madame Royal ? » Tout Besson est là. C’est ce même goût de la mise en scène qui lui inspira une demande d’emploi sur un quart de page publiée en 1982 dans Le Monde, après qu’il eut raté l’Ena. Exister, exister, telle est sa marotte.
Avant même sa nomination au secrétariat d’Etat à l’Evaluation des politiques publiques, la gauche en fait l’archétype du traître : « Ce n’est pas parce que vous avez Judas à votre table que vous devez vous prendre pour le Messie », c’est ce que Ségolène Royal avait prévu de répondre à Nicolas Sarkozy si le cas Besson était venu sur le tapis lors de leur débat télévisé.
Lui « ne regrette rien », mais... il y eut ce regard, hagard, le 23 avril, en meeting UMP à Dijon, après une accolade avec Nicolas Sarkozy. Se revoyait-il écrire, quelques mois plus tôt, dans un rapport au PS, des attaques sur Sarkozy, ce « néoconservateur américain avec un passeport français » ? Ces mots, Eric Besson, 49 ans, dit les avoir écrits avec un pistolet socialiste sur la tempe, dans une lettre d’excuses secrètement adressée à l’ancien président de l’UMP. En politique, dit-on, « il n’y a pas de traîtres, il n’y a que des perdants ». Et des gagnants.
Le Point : « Traître », « félon », « déserteur », etc. Après votre démission de l’équipe de Ségolène Royal et votre ralliement à Nicolas Sarkozy, vous avez été habillé pour l’hiver...
Eric Besson : Les adjectifs tournent en rond et finissent par être galvaudés....
Le P: Comment réagissez-vous à tous ces noms d’oiseaux ?
EB: Je lis partout, surtout sous la plume de gens que je n’ai jamais rencontrés, que je serais très susceptible. La susceptibilité est caricaturée comme une marque d’ego excessif. Moi, les gens susceptibles ne me déplaisent pas. C’est une forme de sensibilité. L’ampleur de ce que j’ai vu et entendu fait que j’ai dû traiter ma susceptibilité à vitesse grand V, et je suis presque guéri, docteur ! Je ne sais plus qui a dit qu’il faut que le coeur se brise ou se bronze. Le mien s’est bronzé.
Le P: A-t-il failli se briser ?
EB: Evidemment, ce déferlement m’a fait réfléchir, m’a parfois blessé. Mais comme j’étais en accord avec mes convictions, la part compétitive en moi, réactive, combattante, s’est réveillée. J’ai toujours eu le goût de la compétition. Quand je lis tout ça, je me dis : « Attendez, on verra, vous me jugerez sur mes résultats ! »
Le P: Vous est-il arrivé d’avoir un doute, de vous dire que peut-être, sans vous en rendre compte, vous avez fait quelque chose de pas très bien ?
EB: Non, à aucun moment. A l’âge de 10 ans, l’un de mes héros de bande dessinée préférés, le docteur Justice, disait, chaque fois qu’il faisait face à une contradiction : « Le courage, c’est de faire ce qui est juste. » Je crois avoir fait ce qui est juste.
Le P: Votre attitude a-t-elle pu relever d’une trahison, même légitime ?
EB: Je n’ai pas trahi. Je n’ai trahi ni mes conceptions ni mon pays.
Le P: Votre camp ?
EB: Certains socialistes pensent que le Parti socialiste est au-dessus de tout. Cela n’a jamais été ma conception. Pour moi, le PS était d’abord un outil de transformation sociale. Ce n’était pas « ma famille », pas « mon camp ». Mon camp, c’est la France. Mon camp, c’est l’amélioration de la vie quotidienne des Français. Je pense aujourd’hui que c’est le PS qui a trahi les convictions qui avaient justifié mon adhésion. J’avais adhéré à un parti progressiste qui abhorrait le culte de la personnalité. En se donnant à Ségolène Royal, le PS a trahi son histoire et ses valeurs.
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