Mardi 8 mars, à 20heures 45, salle des bords de Seine, dans l'ancienne Gare du Pont de Sèvres, j'accueillerai au nom du Débat Sèvrien, en collaboration avec la librairie Anagramme, notre concitoyen Jean-Pierre Vernant, professeur honoraire au Collège de France, compagnon de la Libération, spécialiste mondialement reconnu de la Grèce antique, pour une conférence sur le thème de La Traversée des frontières.
Reprenons le propos de Jean Daniel dans le Nouvel Observateur.
Comment peut-on n’être pas helléniste? Comment peut-on passer sa vie à côté de l’essentiel? C’est ce que l’on est entraîné à se demander en lisant Jean-Pierre Vernant.. Son dernier livre, l’ultime selon lui, le dernier en date selon nous, peut se lire comme la suite de ses Mémoires (1). A 90 ans, Jean-Pierre Vernant se donne un mal inutile pour éviter l’autobiographie. Car cet universitaire, qu’un héroïsme véritable pendant la Résistance va tirer de ses études, n’a jamais cessé d’être présent dans la Cité.
Son père, comme lui agrégé de philosophie, s’engage dès les premières heures de la guerre de 1914 et se fait tuer quelques mois plus tard. Destin qui a probablement inspiré la tendre admiration de Vernant pour Achille, l’homme de la vie brève et intense dans «l’Iliade». Au point qu’après la Résistance il aura mauvaise conscience de demeurer vivant tandis que tant de jeunes gens de son âge ont perdu la vie. Seuls les morts sont des héros. Comment parler de la guerre lorsque l’on n’a pas perdu l’essentiel? Mais pendant cette période «terrible et dramatique» nourrie de «l’improbable alliance de l’insouciance et de la gravité profonde» qui est le lot de la jeunesse, Vernant a été cependant heureux. Pleinement. Pour les Grecs, la mort est un scandale. Il n’y a rien au-dessus de la vie sauf le risque que l’on prend de la perdre – surtout lorsqu’on est jeune.
Comment survivre alors? Dans «l’Iliade», Priam demande à son fils Hector de fuir les combats car «pour le jeune guerrier qui tombe sur le champ de bataille, tout est beau, tout est convenable. Mais la mort pour un vieillard comme moi, Priam, si toi tu succombes, sera horrible». Ce texte parle. C’est le drame des survivants et dès lors que nous pouvons parler nous sommes tous des survivants. Témoigner, alors? Par l’engagement? Jean-Pierre Vernant a été communiste parce qu’il avait besoin que le scandale de l’injustice pût avoir une explication rationnelle. Parce que cela lui permettait de croire au progrès. Et puis il est retourné à l’étude de la Grèce en se disant qu’il ne comprendrait rien à ses héros s’il n’accordait pas d’importance à la religion et aux mythes.
Cette note n’est aucunement le compte-rendu d’un livre incroyablement riche mais une incitation pour chacun à y puiser son miel. Vernant s’est immergé une vie durant dans la Grèce. Il s’est fait grec «au-dedans de lui». Il s’est dit qu’il n’aurait pas pu le faire sans la conquête d’une totale liberté d’esprit. Sans le constat que l’homme n’existe que par son lien à la Cité. Et avec la singulière idée, dans cet univers d’ombres et de nuits, que le monde offre des lumières qu’il a décidé tout de même et malgré tout de découvrir avec gratitude.
Venez débattre avec Jean-Pierre Vernant !
(1) «Entre mythe et politique» (Seuil, 1996).
«La Traversée des frontières», par Jean-Pierre Vernant, Seuil, 194 p., 18 euros.
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